Pourquoi associer un anti TNF-alpha et un immunosuppresseur dans le traitement de votre MICI?

Votre médecin vous a prescrit un anti TNF accompagné d’un immunosuppresseur et vous ne comprenez pas pourquoi? Prendre deux médicaments différents vous expose-t-il à plus de risques? Je vous explique tout dans cet article qui vous aidera à mieux comprendre votre traitement et les décisions prises par votre gastro-entérologue.

L'anti TNF-alpha est un traitement biologique souvent utilisé dans la maladie de Crohn et la RCH en cas d’échec des traitements conventionnels, c’est à dire de l’échec des anti-inflammatoires (5-ASA), immunosuppresseurs (type imurel ou méthotrexate) et des corticoïdes. C’est finalement la deuxième ligne de traitement et c’est pour cela que votre médecin ne vous en prescrira que rarement si vous souffrez de poussées légères à modérées. Il existe deux types d’anti TNF-alpha:

  • l’infliximab, vendu sous les noms de rémicade ou remsima par exemple

  • l'adalimumab, vendu sous les noms humira ou amgevita entre autres

Ces traitements biologiques ont démontré leur efficacité mais posent une limite importante: la perte de réponse au cours du temps. C’est pour pallier cet obstacle que les combothérapies sont utilisées, ce terme étant utilisé pour caractériser un traitement où un immunosuppresseur est associé à un anti TNF-alpha.

Dans cet article nous allons voir ensemble l’intérêt de ces combothérapies, leur efficacité mais aussi les risques éventuels.

Pourquoi utiliser deux médicaments au lieu d’un? Ceci pour deux raisons:

  • Multiplier les cibles: l’immunosuppresseur et l’anti TNF vont avoir deux fonctions bien particulières et assez différentes l’une de l’autre

  • Profiter de l’interaction médicamenteuse: l'immunosuppresseur permet de diminuer l’immunisation du patient contre l’infliximab et l’adalimumab, principale limitation actuelle des anti TNf-alpha

Commençons tout d’abord par mieux comprendre le mode d’action de ces deux voies thérapeutiques. L’immunosuppresseur est un agent anti-prolifératif qui va empêcher la multiplication des lymphocytes T, ce qui a pour but de stopper la réaction inflammatoire. Son rôle est donc de supprimer tout ou en partie la réaction immunitaire, d’où le nom immunosuppresseur. L’anti TNF-alpha, lui, est un agent biologique qui cible les cytokines pro-inflammatoires appelées TNF-alpha. Pour schématiser, le TNF-alpha est produit en amont de la réaction auto-immune, alors que le lymphocyte T est le résultat du travail des TNF-alpha. Immunosuppresseur et anti TNF-alpha ont donc deux modes d’action bien distincts: le premier agit en aval de la réaction inflammatoire et le second en amont. Combiner ces deux voies thérapeutiques permet donc d’agir en amont et en aval de l’inflammation et de la réaction auto-immune et donc d’avoir une meilleure efficacité contre les MICI. 

En plus de multiplier les cibles, ces deux molécules vont interagir et permettre de pallier la limitation principale des anti TNF-alpha: l’immunisation de votre corps contre ces médicaments. En effet, avec le temps, votre organisme va commencer à produire des anticorps anti-drogues (AAD) qui vont cibler les anti TNF et donc les empêcher d’agir, c’est-à-dire que vous devenez résistant aux anti TNF qui perdent donc leur efficacité car votre corps se bat contre eux. Combiner un immunosuppresseur à un anti TNF-alpha va donc permettre plusieurs choses:

  •  La potentialisation du traitement, c’est un terme utilisé pour décrire le mécanisme par lequel deux médicaments  qui ont des modes d'action différents vont avoir  un effet thérapeutique, dû à leur association,supérieur à la somme des effets particuliers de chacun d'eux, pris séparément. 

  • Pallier au problème de la clairance de l’anti-TNF, ce qui en terme simple, désigne la période entre deux injections où l’anti-TNF n’est détectable dans le sang qu’à des doses inférieures au seuil thérapeutiques (c’est à dire le seuil en dessous duquel la molécule n’agit plus). En effet, l’immunosuppresseur va lui avoir une action continue et donc prendre le relais de l’anti-TNF durant la période de clairance qui précède la prochaine injection et donc vous empêcher de vivre une récidive de l’inflammation.

Voilà la théorie, mais en pratique qu’en est-il vraiment? La combothérapie est-elle efficace? Deux études randomisées en double aveugle répondent plutôt bien à cette question. La première est l’étude SONIC(1) avec 502 participants souffrant de la maladie de Crohn séparés en trois groupes et réalisée sur 30 semaines. Le premier a suivi une monothérapie à base d’azathioprine (immunosuppresseur), le deuxième une monothérapie à base d’Infliximab (anti Tnf-alpha) et le troisième une combothérapie azathioprine+infliximab. De meilleurs résultats ont été observés dans le troisième groupe, avec un taux de rémission plus élevé mais aussi une meilleure cicatrisation de la paroi intestinale.

La seconde étude est l’essai SUCCESS(2) avec 239 patients atteints de RCH divisés en trois groupes eux aussi, sur le même modèle que ceux de l’étude SONIC que j’ai décrite précédemment. Bien que cette étude est moins longue et ne porte que sur 16 semaines, les résultats sont plutôt positifs pour la combothérapie, avec un meilleur taux de rémission et de cicatrisation de la paroi intestinale. La limite principale de cette étude reste toutefois le temps, car l’immunisation contre l’infliximab n’aura peut-être pas eu le temps de se développer chez les patients, et donc la différence entre l’infliximab seul et la combothérapie est moins marquée. Il est important de noter que la combothérapie est une stratégie de moyen et long terme et n’a pas d’effet bénéfique court terme quand on la compare à l’anti TNF seul. 

L’efficacité de la combothérapie a donc bien été démontrée en pratique. Toutefois, ne pose-t-elle pas de plus grands risques qu’une monothérapie à base d’immunosuppresseurs seuls ou d’anti TNF seuls? Commençons par décrire les risques de ces thérapies. Il y en a essentiellement deux principaux: la vulnérabilité aux infections et la possibilité de développer un lymphome, c'est-à-dire un risque accru pour certains cancers spécifiques.

Pour ce qui est des infections, l’immunosuppresseur, par son action d’inhibition du système immunitaire, expose le patient à un risque une fois et demi plus important d’infections variées. Toutefois il est à noter que ce risque n’augmente pas en cas de combothérapie, ce qui est plutôt logique. La vulnérabilité aux infections est inhérente à l’action de l’immunosuppresseur et de rajouter un anti TNF n’augmente pas ce risque car le mode d’action de ce dernier cible un mécanisme différent dans le corps, comme je l’ai décrit plus haut. 

Pour ce qui est du risque de lymphome, encore une fois, ce sont les immunosuppresseurs et non les anti TNF qui sont un facteur. La combothérapie dans ce cas ne va pas augmenter le risque de lymphome si vous preniez déjà un immunosuppresseur. De plus, une analyse rétrospective réalisée sur une cohorte de vétérans américains comprenant 36 891 patients atteints de RCH et suivis sur 10 ans (3), montre que le risque de développer un lymphome n’augmente qu’à partir de la quatrième année de traitement. Les trois premières années, le risque reste extrêmement faible. 

On peut donc conclure que la combothérapie ne pose pas de risques particuliers comparée à l’immunothérapie seule. Et je tiens à souligner que le risque de développer un cancer est bien réel avec l’immunothérapie certes, mais le risque d’en développer un avec une MICI non traitée est lui aussi bien réel et vous expose en plus à de nombreuses autres complications, notamment la résection intestinale. Il n’y a pas de solutions sans risque malheureusement, mais il est sûr que traiter votre MICI avec la thérapie choisie par votre gastro-entérologue, en plus d’une démarche de changement d’alimentation et de mode de vie, reste la voie la plus sûre vers la rémission durable!

J’espère que cet article vous aura répondu à vos questions concernant l’association d’un immunosuppresseur et d’un anti TNF-alpha. Si vous aviez d’autres interrogations, n’hésitez pas à m’en faire part dans la section commentaire de ce billet de blog, je me ferai un plaisir de vous répondre! 

(1)Infliximab, Azathioprine, or Combination Therapy for Crohn's Disease, New England Journal of medicine,15 avril 2010

(2) Combination therapy with infliximab and azathioprine is superior to monotherapy with either agent in ulcerative colitis, Gastroenterology 2014;146:392–400

(3)Risk of lymphoma in patients with ulcerative colitis treated with thiopurines: a nationwide retrospective cohort study, Gastroenterology, nov 2013


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