Faut-il avoir peur des émulsifiants?

Avec plus de 330 additifs alimentaires autorisés en France dont quelques dizaines sont des émulsifiants, nous sommes quotidiennement exposés à bon nombre de ces produits par le biais de notre alimentation. Sont-ils dangereux pour la santé? Sont-ils la cause des maladies inflammatoires chroniques, notamment la rectolite hémorragique et la maladie de Crohn? Doit-on les éviter totalement où y’a t’il un seuil admissible journalier en dessous duquel ils n’ont aucun effet? Je réponds à toutes ces questions ici, et pour ceux qui préfèrent la version vidéo, rendez-vous sur YouTube!

Que sont les émulsifiants?

Ce sont des substances que l’on trouve dans les produits transformés et ultra-transformés qui permettent de mélanger ensemble deux solutions qui autrement ne s’assembleraient pas, comme par exemple l’huile et l’eau. En plus de cette fonction, les émulsifiants servent aussi de stabilisant, de gélifiant et d’épaississant. Bref, ils sont bien utiles aux industriels pour concevoir des produits agro-alimentaires qui ont une texture agréable et restent stables dans le temps. Pour citer un exemple, un lait de coco en conserve acheté en épicerie bio va le plus souvent avoir la graisse de coco solidifiée sur le dessus et l’eau de coco en dessous. Pour assembler les deux, il faut généralement chauffer un peu le lait. Quand on l’achète en grande surface classique, dans le rayon produit du monde, ce lait de coco se présente sous forme liquide, pas d’amas solide au-dessus. Pourquoi? Parce qu’il contient de la gomme de guar, un émulsifiant qui permet de stabiliser le mélange graisse/liquide.

Les émulsifiants les plus communs sont:

  • les lécithines (E322, 14% des émulsifiants utilisés*)

  • les mono et diglycérides d’acides gras (E471, 7%)

  • La gomme de Guar (E412, 6%)

  • La gomme de Xanthane (E415, 5%)

  • Les carragénanes (E407, 4%)

  • La cellulose (E406-E469, 2%)

L’effet des émulsifiants sur la santé?

Ces substances sont des modulateurs du microbiote, c’est à dire qu’elles modifient la composition et le fonctionnement de celui-ci. Certaines ont été identifiées comme des perturbateurs du microbiote, c’est à dire que par leur action dans l’intestin elles créent une inflammation chronique basse à modérée, ce qui exacerbe les dysfonctionnements métaboliques. De plus, certains de ces émulsifiants permettent la translocation bactérienne, c’est à dire permettent à des bactéries de se rendre contre la paroi intestinale où elles ne devraient pas être, et de créer de l’inflammation à ces endroits précis.

On manque encore d’études chez l’homme, mais des études menées sur l’animal (notamment les souris et les cochons) ont montré:

  • qu’il était possible d’induire une RCH chez un animal sain en l’exposant à des émulsifiants

  • que l’exposition à ces substances créaient une dysbiose intestinale

  • que l’exposition aux émulsifiants créaient une inflammation chronique pouvant mener au développement de maladies métaboliques (hypertension, diabète de type 2, troubles cardiaques, etc…)

A quelle dose les émulsifiants vont ils déclencher une inflammation?

Pour répondre à cette question, je vais m’appuyer sur l’étude “Les émulsifiants et le risque de diabète de type 2: l’analyse des données de la cohorte prospective Nutrinet**” parue en mai 2024 dans le journal The Lancet. Cette étude française s’appuie donc sur une cohorte recrutée en ligne sur la plate-forme Nutrinet Santé. Pourquoi je m’intéresse à cette étude? Tout simplement parce que le diabète de type 2 est aussi une maladie inflammatoire chronique et que les leçons à tirer des conclusions de l’étude seront similaires pour une personne atteinte d’une MICI.

Les prises alimentaires des participants sont enregistrées à l’entrée puis tous les 6 mois, incluant à chaque fois deux jours de repas pris la semaine et un jour le week-end. De là, des mesures quantitatives des doses d’émulsifiants consommées sont calculées grâce à une base de donnée regroupant les différents produits des différentes marques.

Cette étude compte 104 139 participants dont 82% sont des femmes et dont l’âge moyen est de 42.7 ans. 99% des personnes de cette cohorte ont été exposés à des émulsifiants au cours des 9 ans qu’a duré l’étude. A côté de cela était aussi pris en compte la prise de :

  • graisses saturées

  • sodium

  • fibres

  • sucres ajoutés

  • fruits et légumes

  • produits laitiers

  • viande rouge

  • produits ultra transformés

    J’ai mis en rouge ceux qui sont des facteurs de risque et en vert ceux qui vont avoir un effet protecteur pour la santé.

    Enfin, le fait de fumer, d’avoir une activité physique ainsi que le risque génétique de développer un diabète ont été aussi pris en compte.

Sur les 104 139 participants à l’étude, 1056 ont développé un diabète de type 2, soit 10.14% des personnes suivies. Une association forte positive avec la consommation de 7 types d’émulsifiants a pu être déduite. Cela veut dire quoi? Cela signifie que le risque de diabète augmente avec la consommation d’émulsifiants et que cette association entre les deux est importante dans le sens où les émulsifiants font fortement augmenter le risque de diabète. Il faut bien noter qu’association n’est pas causalité et qu’en aucun cas les émulsifiants sont la cause de la maladie, c’est simplement un facteur de risque de la développer. Pour donner un exemple, un lien de causalité existe entre cigarette et cancer du poumon, alors qu’il y a simplement un lien de corrélation entre consommation de soda et risque de développer une MICI.

Les émulsifiants concernés sont:

  • les carragénanes

  • le tripotassium phosphate

  • la gomme de guar

  • la gomme de xanthane

  • les mono et diglycérides d’acides gras

  • le citrate de sodiuù

  • la gomme arabique

La partie vraiment nouvelle et intéressante de cette étude réside dans les doses d’émulsifiants consommées. L’association entre risque de développer un diabète et prise d’émulsifiant existe dès une prise quotidienne de 100mg. Ceci est une petite dose, celle que l’on retrouverait dans une petite mousse au chocolat individuelle. Une dose bien en-deçà des doses journalières admissibles prévues par l’OMS et l’AESA.

Les conclusions à tirer de cette étude?

Si on veut réduire l’inflammation, il nous faut diminuer notre consommation d’émulsifiants, c’est à dire la quantité de produits transformés et ultra transformés que nous mangeons quotidiennement. Bien sûr, la dose fait le poison, et cela ne veut pas dire les supprimer complètement. Si de temps en temps vous souhaitez vous faire plaisir en mangeant un produit qui en contiendrait, faites le sans culpabilité, une dose ne suffira pas à déclencher une poussée de Crohn ou à faire rechuter votre RCH. Le plus important est de ne pas en avoir une consommation quotidienne. Et si vous le pouvez, consommez des produits transformés bio qui contiennent peu ou pas d’émulsifiants.

Le but de cet article n’est pas de créer de la peur, mais plutôt d’informer vos choix quotidiens. Une alimentation équilibrée, riche en fibres et pauvres en produits transformés est celle qui vous aidera à entrer en rémission et surtout à y rester. Se faire plaisir de temps en temps entre dans le cadre de cette alimentation équilibrée qui promeut une bonne santé dans votre corps!

*Chiffres donnés par l’AESA (Autorité Européenne de Sécurité des Aliments)

** Food additive emulsifiers and the risk of type 2 diabetes: analysis of data from the NutriNet-Santé prospective cohort study, Clara Salame, PhD and coll. , VOLUME 12, ISSUE 5, P339-349, MAY 2024 The Lancet

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